Dans un monde où les sollicitations sont de plus en plus nombreuses, la gamification est décrite comme la voie royale vers l’engagement du client ou du collaborateur… Est-ce si sûr ?
Les internautes sont toujours plus sollicités, leur attention s’effrite. Solution : créer de l’engagement par la gamification. Vous avez dit «gamification» ? Tous les problèmes seraient alors résolus. En externe, question de marque, de commerce : on parle d’attirer le client chez soi… En interne : on va faire accomplir aux collaborateurs des choses qu’ils n’aimeraient pas faire sinon.
Première remarque : si tout le monde (en externe) «gamifie», retour à la case départ… Où se trouve la différenciation ! Ensuite, gamifier en interne peut conduire à mobiliser temps et attention du collaborateur à mauvais escient, au détriment de tâches critiques. Un concept prometteur donc que la gamification, sous réserve d’être manié avec prudence et finesse, sauf à générer des dégats.
Autre élément de réflexion : cette pyramide de Maslow réinterprétée par IBM… qui place la gamification tout en haut… La gamification importe à la fin du processus, pas à son début : elle est ce qui valorise l’implication dans un dispositif, pas ce qui la cause ! Guide, moteur, comme on veut, une fois qu’on a accepté de rentrer dans un dispositif ou une logique d’engagement, elle ne crée pas cette logique.
Par exemple, elle va guider le salarié dans sa découverte du réseau social mais ne lui donnera pas nécessairement envie de franchir le premier pas. En revanche, une fois celui-ci franchi, elle pourra permettre de conserver le collaborateur dans le dispositif. Il en va de même dans les logiques de marque ou de formation.
Au fond, la gamification crée plutôt de l’addiction que de l’engagement, le sentiment (désagréable) qu’on nous force la main sans qu’on puisse sortir du dispositif sauf à trouver une addiction plus forte. L’apprenant ou l’internaute «pseudo-engagé» par la gamification n’est pas aussi sensible à votre marque ou aux tâches que vous souhaitez lui voir accomplir, qu’au dispositif de jeu lui-même…
Voilà qui change tout.… S’il est vraiment engagé, il restera. Au contraire, engagé par un dispositif de gamification, il pourrait bien s’en détacher pour un nouveau jeu plus «sympa» dès que l’opportunité se présentera. Tout simplement parce qu’une motivation essentielle du joueur étant de comprendre le dispositif, ses leviers, pour mieux le manipuler / contourner… voire tricher, ce mécanisme perd beaucoup d’intérêt dès qu’il a été démonté !
La gamification est un outil très puissant. Mais elle repose sur des mécanismes très fins qui demandent infiniment de précautions si on veut que le système produise les résultats attendus, sans effets de bords, et puisse maintenir durablement l’attention des joueurs.
Bertrand Duperrin NextModernity, Directeur Conseil
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